
Émaux à Base de Roches
En tant que céramistes, nous sommes liés à la matérialité de notre pratique. Produit du développement dramatique d’une société de consommation, notre dépendance à l’égard de ressources naturelles limitées a créé, au cours des deux derniers siècles, un lien inéluctable avec la nature. Quoique de nos pratiques ont un impact écologique et sociétal important, c’est aussi notre lien avec la nature qui nous invite à être des créateur·rice·s consciencieux·cieuses et à accorder une attention particulière au développement de pratiques durables dans nos ateliers afin d’alléger le fardeau qui pèse sur l’avenir.
Au cours des dernières décennies, l’argile locale a bénéficié d’une reconnaissance mondiale dans le monde de la céramique en ce qui concerne les questions de développement durable. Toutefois, d’autres matériaux n’ont pas encore fait l’objet d’une attention sérieuse et, par conséquent, nombre d’entre eux restent partiellement explorés, voire presque totalement absents des pratiques courantes. Parmi ces matériaux figurent les roches. Cela dit, il importe de noter que les roches elles-mêmes n’ont jamais été absentes de la céramique. En fait, presque tous les matériaux couramment utilisés dans notre pratique sont des dérivés d’une forme ou d’un type de roche (ou minéraux).
Pourtant, lorsqu’il s’agit de confectionner des émaux/glaçures de céramiques, la production intense et rapide de matériaux par les industries minières a créé un marché d’ingrédients « purs » et faciles d’accès et, par conséquent, a réduit et découragé la nécessité de traiter nos propres matériaux, tels que les roches. Alors que l’épuisement de nos ressources non renouvelables se poursuit à grande échelle, cette exposition sert de (ré)introduction à cet art perdu, tout en explorant à la fois l’aspect technique de l’utilisation de roches non traitées comme ingrédient de base des émaux/glaçures, et les (nouvelles) possibilités esthétiques qu’elles offrent, plus précisément pour la cuisson dans un four électrique, à cône 6 et en milieux d’oxydation.
Le travail présenté ici examine 15 roches différentes traitées et testées entre juin 2023 et août 2024 avec divers autres ingrédients. Les roches faisant partie de l’équation dans le développement de pratiques durables, j’espère que ce projet contribuera à l’articulation d’un (nouveau) langage géologique de matériaux alternatifs en céramique.

Une note sur l’exposition virtuelle
En raison de l’ampleur du projet, qui a été initialement présenté en personne, j’ai choisi de modifier sa présentation pour l’adapter plus efficacement au format présent. Par conséquent, cette version virtuelle n’offre qu’une vue partielle de ce qui a été présenté à l’origine.
Cette exposition virtuelle s’agit également d’un travail en cours et qu’une grande partie des détails de cette exposition sera publiée séparément. Les liens vers ces ressources seront ajoutés au fur et à mesure qu’ils seront disponibles.


Avant de commencer
Avant de présenter individuellement toutes les roches utilisées pour ce projet, je crois qu’il puisse être utile de connaître la progression méthodologique de ce travail (voir l’image ci-jointe). N’hésitez pas à sauter cette section si vous êtes plus intéressés par les pièces finales.
D’abord, toutes les roches ont été broyées et tamisées à différentes mailles : l’une « fine », l’autre « rugueuse ». Pour une brève présentation des outils utilisés pour le concassage, vous pouvez lire ma publication précédente (outils de transformation des roches). Cette étape a été suivie par ce que nous appelons un « test de fonte » (voir les tuiles hexagonales à droite). Essentiellement, en plaçant la roche « brute » dans le four, j’ai pu avoir une première impression sur la façon dont la roche se comporte à cone 6 (~1220°C).
Par exemple, quelle est la qualité de la fonte ? Est-elle partielle, entièrement fondue ou ne fond-elle pas du tout ? Ce test permet également d’avoir un aperçu de la palette de couleurs attendue, en particulier si je utilise l’une des roches comme ingrédient principal dans mes émaux/glaçures. Enfin, le test de fonte fut un excellent moyen de confirmer certaines de mes hypothèses concernant les minéraux contenus dans la roche. Ce test a également été répété en tant qu’inclusion dans l’argile (voir les tuiles rectangulaires plates sur la droite). Les 5% ajoutés m’ont permis d’avoir une idée de la façon dont ces minéraux pourraient fonctionner comme un « colorant » dans le corps de l’argile.
Enfin, la poudre « fine » a été mélangée avec divers fondants commerciaux pour produire une plus large gamme de couleurs et de textures (voir les tuiles rectangulaires à gauche). La recette que j’ai utilisée pour ces tuiles est la suivante : 85% de roches broyées, 10% de fondant et 5% d’argile. Enfin, les émaux que j’ai trouvés les plus intéressants ont été utilisés pour une série de jarres de lune (moon jars).


Jaspe Rouge

Code
É23-A
Minéraux Potentiels
Quartz (Silice)
Calcite (Carbonate de Calcium)
Pyrite (Fer)
Hématite (Fer)

Lépidolite

Code
É23-B
Minéraux Potentiels
Lépidolite (Mica contenant du Lithium)
Quartz (Silice)
Calcite (Carbonate de Calcium)

Schiste Vert

Code
É23-C
Minéraux Potentiels
Fuchsite (Mica riche en Chrome)
Chlorite (Fer et Magnésium)
Albite (Sodium)
Pyrite (Fer)

Chrysocolle

Code
É23-D
Minéraux Potentiels
Quartz (Silice)
Chrysocolle (Cuivre)
Calcite (Carbonate de Calcium)

Amphibolite

Code name
É23-E
Minéraux Potentiels
Biotite (Fer et Potassium)
Muscovite (Potassium)
Plagioclase (Calcium et Sodium)

Carbonate de Chlorite (Quartz)

Code
É23-F
Minéraux Potentiels
Quartz (Silice)
Chlorite (Fer et Magnésium)
Calcite (Carbonate de Calcium)

Quartz

Code
É23-G
Minéraux Potentiels
Quartz (Silice)
Calcite (Carbonate de Calcium)
Sulfures

Quartz

Code
É23-H
Minéraux Potentiels
Quartz (Silice)
Calcite (Carbonate de Calcium)
Pyrite (Fer)

Schiste avec Biotite

Code
É23-I
Minéraux Potentiels
Biotite (Fer et Potassium)
Muscovite (Potassium)
Quartz (Silice)

Schiste avec Biotite

Code
É23-J
Minéraux Potentiels
Biotite (Fer et Potassium)
Muscovite (Potassium)
Quartz (Silice)

Feldspath Rose

Code
É23-K
Minéraux Potentiels
Quartz (Silice)
Orthoclase (Potassium)

Béton

Code
É23-L
Minéraux Potentiels
Sable (Silice)
Chaux (Oxyde de Calcium)
Agrégats (ex., Granit ou Basalte)

Lépidolite

Code
É23-M
Minéraux Potentiels
Lépidolite (Mica contenant du Lithium)
Muscovite (Potassium)
Quartz (Silice)
Calcite (Carbonate de Calcium)

Granit avec Biotite

Code
É23-N
Minéraux Potentiels
Quartz (Silice)
Biotite (Fer et Potassium)
Plagioclase (Calcium et Sodium)

Aventurine Verte

Code
É23-O
Minéraux Potentiels
Aventurine (Silice)
Muscovite (Potassium)
Calcite (Carbonate de Calcium)

Et Après ?
La curiosité.
C’est ainsi que tout a commencé.
Une simple question : « Et si j’écrasais cette roche et que je la mettais dans un four à 1200° Celsius ? »
En réfléchissant à ce projet, je trouve fascinant comment cette question a complètement (ré)orienté ma pratique de la céramique. Ce qui a commencé par un simple désir de savoir s’est transformé en quelque chose de complètement différent. Car la curiosité est bien plus qu’un simple « désir de connaissance ». La curiosité suggère une certaine inquiétude. Elle ne consiste pas seulement à se demander « ce qui est », mais surtout « ce qui pourrait être ». Ainsi, dans cet acharnement à trouver étrange ce qui est familier – à rejeter les façons familières de faire les choses et à les regarder d’une manière nouvelle – la curiosité devient un devoir de diligence vers un futur meilleur. Par conséquent, bien que j’apprécie énormément les (nouvelles) possibilités esthétiques qu’offrent ces matériaux, ils me rappellent également la manière dont ils sont liés à des questions sociétales et écologiques plus vastes et dont ils les affectent (ou sont affectés par elles). Par conséquent, une partie de moi souhaite que ce projet inspire également l’espoir et l’activisme. En vérité, j’espère que cette exposition offre une lueur d’espoir pour l’avenir – qu’il est, en effet, possible de trouver des alternatives qui pourraient (ré)orienter nos pratiques vers quelque chose qui peut être plus éthique et plus respectueux de l’environnement.
Alors que ma réflexion touche à sa fin, je dois maintenant faire face à l’inévitable question : quelle est la prochaine étape ? J’ai dit tout à l’heure que la curiosité suscitait une attention particulière à ce future fécond, à ce qui pourrait devenir. Par conséquent, lorsque je m’interroge sur l’avenir de mon travail, je reviens à ces deux questions : « Que puis-je faire différemment ? » et “Comment puis-je faire une différence ?”. En ce qui concerne la première question, bien que tous les émaux développés pour cette exposition aient été fabriqués à l’aide de divers ingrédients commerciaux (tels que les fondants), il existe de nombreux matériaux locaux qui pourraient servir d’alternatives. Par exemple, l’argile peut être collectée localement, apportant avec elle la richesse et le caractère unique du sol où elle a été trouvée. En outre, il existe de nombreuses alternatives aux fondants qui peuvent être trouvées/fabriquées/collectées localement (ex., coquilles d’œuf, coquillages, cendres de bois/plantes). De plus, je pense également à l’inclusion d’autres matériaux qui sont des sous-produits d’autres industries (ex., des éclats ou de la poussière de verre, des briques de construction, des morceaux de comptoir, des copeaux de métal ou du béton). Pour la deuxième question : Je pense qu’il faut absolument faciliter l’accès à ces pratiques. Malheureusement, une grande partie des connaissances et de l’expertise concernant les roches et les autres matériaux (à part l’argile) se trouve généralement dans des publications qui sont tantît épuisées et difficiles à trouver, tantôt astronomiquement chères à obtenir. Avec les quelques artistes qui partagent ouvertement leur processus, j’aimerais continuer à publier plus de mon travail, surtout en ce qui concerne l’aspect technique, comme les avantages et les inconvénients de chaque outil, les méthodes de test, la pensée derrière les recettes, les modes d’application, et plus encore.
En guise de conclusion, je vous encourage à rester curieux·euses.
Vous ne saurez jamais où une simple question pourrait vous mener dans un an ou deux.
Osez demander : « Et si… ».

Remerciement
L’exposition actuelle n’aurait pas été possible sans le soutien de nombreuses personnes.
À Emily je suis reconnaissant de la générosité de ton temps et de ton soutien constant. Plus précisément, merci de ton aide sur nombreux aspects de ce projet, notamment en discutant des recettes et des ingrédients, des divers processus d’application, des méthodes de raffinement, des procédures d’essai et en veillant à ce que tout se passe en toute sécurité.
À Jasmine – J’apprécie énormément le temps que tu as pris pour identifier les différents spécimens de roche. Sans ces informations, la profondeur et la portée de ce projet n’auraient pas été les mêmes.
Jess et Saivani – Je suis reconnaissant de votre enthousiasme. Votre curiosité et votre créativité ont nourri la mienne.
À mes parents – Merci de m’avoir permis de monopoliser le garage avec des seaux, des étagères, des outils de broyage et bien d’autres choses encore (désolé !).
Enfin, j’aimerais exprimer ma gratitude à quelques artistes qui ont inspiré de manière significative l’orientation de ce projet.
– Georgia Stevenson (@georgiastevensonceramis / @breakingground_)
– Nina Salsotto Cassina (@urnugent.argilla)
– Claire Ellis (@claireellisceramics)
– Sarah Howard (@sara__howard)
– Giulia Forgione (@giuliaforgione.ceramics)
– Mitch Iburg & Zoe Powell (@studio.alluvium)
– Maria Loram (@loram.ceramics)
– Matthew Blakely (@mattblakelypottery)
– Hamish Jackson (@hamish.jackson.pottery)
– Janeen Page (@janeen.page.pottery)
– Shikha Joshi (@potterybyshikha)
– Anna Maria Sand Jensen (@annamaria.sandjensen)
– Natacha Delannoy Kliber (@ndk.ceramiques)
– Don Ricardo (@don_ricardo_ceramics)